29, Argentine, Du littoral Atlantique à El Calafate.
Du littoral Atlantique à El Calafate.
« Quand je songe à partir, c'est au sud que je pense.
J'associe le mot "sud" avec la liberté. »
Bruce Chatwin « En Patagonie »
Le Sud…Pas encore le Grand Sud mais on s’en approche.
De Puerto Madryn, pour gagner les rives du Lago Argentino qui bercent El Calafate, sauf à prendre l’avion, c’est un (très) long parcours en semi-cama qui nous attend.
Ce sera l’occasion d’observer derrière les vitres du bus une Patagonie qu’on dit « côtière », une Patagonie qui laisse entrevoir un visage bien différent des images lisses d’une nature préservée que vend, avec raison, l’industrie du tourisme argentin.
Retour sur cette longue parenthèse routière en suivant la Nationale 3 qui enroule plus de trois mille kilomètres de Buenos Aires à la Terre De Feu :
Une première étape nous mènera jusqu’à Rio Gallegos, un parcours soporifique d’un peu plus de 1200 km qui traverse une steppe sauvage et parfois s‘aventure le long d’un littoral splendide.
Une montée à bord du bus à 10 h et une arrivée vers les 4 h le lendemain matin, c’est dire qu’en 18 h de trajet et entre deux somnolences, nous avons tout le loisir de suivre le paysage qui défile sous nos yeux.
Immense Argentine ! Des horizons sans fin, des espaces sauvages, on en perd la notion du temps.
Et puis, incontournables, tout au long du ruban bleu asphalté, ces interminables clôtures qui délimitent, entre une poignée d’estancias, un « partage » géométrique d’étendues infinies !
Comment peut-on devenir propriétaire de surfaces qui se comptent en dizaines de milliers d’hectares ?
Par quel artifice se met-on dans la poche ces territoires bornés de trois fils de fer tendus sur des millions de piquets de bois ?
Des voix s’élèvent :
Economistes, écologistes, et même l’Eglise, dénoncent « la mise aux enchères » du pays.
Le plus grand éleveur de moutons d’Argentine n’est pas Argentin :
Neuf cent mille hectares en propriété, pour un seul homme c’est trop. Alors à quatre c’est plus facile, les frères Benetton sont devenus les premiers producteurs de laine du pays.
Les frangins Italiens se consacrent également à la reforestation…Un petit côté vert quand même, hein ?
" Le Pelé lui avait appris à tuer les moutons sans les faire souffrir.
On couche l'animal par terre, on écarte délicatement la fine laine de la gorge où on pratique l'incision en tirant la tête vers l'arrière, sur le genou plié, et, de la pointe du couteau on porte le coup final, à la manière d'un habile torero.
Tuer est un métier.
Celui qui tue un animal d'une main inexperte donne un triste spectacle et sombre à son tour dans l'animalité.
Francisco Coloane : El Guanaco
En 2007, Gonzalo Sanchez, auteur de « La Patagonia vendida », dénonce le bradage du pays :
"On peut acheter ce que l'on veut dans n'importe quel endroit, si on a le capital suffisant, même dans les parcs nationaux".
5 % des 45 millions d'Argentins vivent en Patagonie.
Ce légendaire bout du monde représente néanmoins le tiers du territoire national et détient ses principales richesses :
Énergie hydroélectrique, 80 % du pétrole et du gaz naturel et une des grandes réserves d'eau douce de la planète.
La région est donc très convoitée, elle est devenue le paradis des grands possédants de ce monde.
Ted Turner (CNN), Douglas Tompkins (North Face et Esprit), Bill Gates, et bien d’autres grandes fortunes ne craignent pas d’affronter les vents cinglants de la Patagonie.
Plus modeste mais confortable tout de même, le chanteur/acteur à qui on « n’enlèvera pas sa liberté de penser », est aussi propriétaire de deux estancias dans la province de Chubut.
A-t-il encore besoin de « planquer son shit sous l’étagère » ?
Quand la route Nationale 3 s’en va flirter avec l’océan,
c’est pour desservir les villes industrieuses comme Comodoro de Rivadavia ou Caleta Olivia.
C’est un beau littoral qui n’engage pas à séjourner :
Collines poussiéreuses, derricks, réservoirs de pétrole et une gestion catastrophique des déchets en périphérie de ces villes.
La violence du vent n’arrange rien à l’affaire, c’est un tourbillon de sacs plastiques qui s’accrochent aux arbustes rabougris.
L’activité des ports pétroliers le long de cette côte affecte également la qualité des eaux.
Seuls quelques scientifiques et militants d'associations de défense de l'environnement semblent avoir pris la mesure du problème et dénoncent sans relâche la gravité des pollutions.
Mais dans une Argentine qui compte 40% de pauvres, les priorités sont ailleurs.
4h 20 du matin, le bus marque l’arrêt.
Lueur pâle de l’aube, vent froid.
« El terminal » de Rio Gallegos est fermé et n’ouvrira qu’à 6 h :
On sort les polaires et les coupe-vent.
Nous sommes une dizaine à patienter dans le froid, pas une seule chance de trouver à proximité una cafeteria ouverte à cette heure.
Il faudra attendre. La Patagonie, c’est aussi une affaire de patience.
Quelques heures plus tard, encore un peu chiffonnés, nous prendrons le bus pour El Calafate, un gros bourg qui a poussé (trop vite ?) de façon anarchique.
300 Km plus au nord/ouest nous retrouverons les montagnes.
Les touristes se bousculent sur cette destination.
El Calafate entre dans le top 10 des immanquables du pays, alors bien sûr on y va aussi !
La route qui plonge sur le Lago Argentino est splendide, c’est un prélude au grand spectacle annoncé.
Nous avons loué une petite cabañas en bordure du lac :
Elle est « Pink » comme indiquée dans l’annonce, certainement à cause des « Pink floyd » qui s’attardent sur le rivage.
Le temps est superbe, on met le chauffage en route seulement pour la nuit.
Et demain, dans cette année finissante, nous irons à la rencontre des glaciers, ces géants en grand danger de disparition mais, qui pour l'instant, continuent de faire vivre encore toute la population de El Calafate.
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