Singapour 1, ... fait "un petit pas" vers l'abolition de la peine de mort.
"Le Monde"
article publié le 10 juillet 2012.
Singapour fait "un petit pas" vers l'abolition de la peine de mort.
Le numéro 2 du gouvernement de Singapour, Teo Chee Hean, a annoncé lundi devant le Parlement que la peine de mort, qui punit systématiquement les crimes considérés comme les plus graves, pourrait, sous certaines conditions, être commuée en prison à perpétuité. Les associations de défense des droits de l'homme ont salué "un petit pas dans la bonne direction", mais regrettent que l'abolition de la peine capitale ne soit pas encore à l'ordre du jour.
Le Parti d'action populaire, qui dirige l'île d'une main de fer depuis son indépendance en 1965, réfléchissait à un assouplissement de la législation depuis un an, afin qu'"elle soit plus en accord avec l'évolution de la société".
Depuis juillet 2011, toutes les exécutions ont d'ailleurs été suspendues, mais selon la loi actuelle, toute personne condamnée pour meurtre ou pour avoir vendu 15 grammes d'héroïne, 30 g de cocaïne, 250 g d'amphétamines ou 500 g de cannabis est automatiquement condamnée à mort.
Avec la modification annoncée, qui devrait être définitivement entérinée avant la fin de l'année, une personne condamnée pour assassinat pourra échapper à la peine capitale si elle prouve qu'elle n'avait pas l'intention de donner la mort.
Le trafiquant de drogue devra, quant à lui, prouver qu'il n'était qu'un simple "passeur", sans véritable implication dans la fabrication et la vente de narcotiques, et avoir "collaboré pleinement avec les autorités".
Les personnes avec "des déficiences mentales" ne leur permettant pas de réaliser "la gravité" de leur acte pourront également bénéficié de la "grâce".
35 PERSONNES DANS LES COULOIRS DE LA MORT.
"Il y a une lueur d'espoir, estime Anne Denis, responsable de la commission Abolition de la peine de mort chez Amnesty International France.
"Notamment pour Yong Vui Kong, un Malaisien qui a été condamné à mort pour être entré à Singapour avec 47 grammes d'héroïne alors qu'il n'avait que 19 ans."
L'année dernière, sa demande de grâce a été rejetée, mais son sort a ému la communauté internationale et la pétition qui demande que sa peine soit commuée en prison à vie a recueilli 41 000 signatures.
Selon les chiffres officiels, 35 personnes sont actuellement dans les couloirs de la mort de la cité-Etat : 28 pour trafic de drogue et 7 pour meurtre.
Le ministre de la justice a annoncé que tous verraient leurs condamnations réévaluées.
"La justice peut parfois être appliquée avec pitié, et dans certains cas, une seconde chance peut être donnée au criminel", a déclaré Teo Chee Hean.
Le dirigeant a néanmoins tenu à minimiser la portée de la décision, en rappelant que la sévérité de la loi était une force de dissuasion efficace qui n'était pas remise en cause.
Selon l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Singapour a un taux de criminalité parmi les plus bas du monde.
"UN IMPACT COLOSSAL SUR LE SYSTÈME JUDICIAIRE"
"Ce n'est pas la sévérité de la peine qui engendre une baisse de la criminalité, mais une probabilité élevée d'être arrêté et condamné", nuance Anne Denis, d'Amnesty International.
"Surtout, c'est le caractère automatique de la peine capitale qui est inacceptable, car c'est le crime qui est jugé, pas la personne. Aujourd'hui à Singapour, les juges ne font qu'appliquer des règles qui sont extrêmement strictes.
La réforme va leur permettre de prendre en compte l'histoire du condamné. C'est un pas vers plus d'indépendance de la justice."
Dans le Wall Street Journal, Subhas Anandan, président de l'Association des avocats pénalistes de Singapour, qui pratique un lobbying actif en faveur de l'abolition de la peine de mort, a estimé que "ces nouvelles mesures auront un impact colossal sur le système judiciaire".
Alan Shadrake, un journaliste indépendant qui, en juillet 2011, a passé six semaines dans les prisons singapouriennes pour outrage à la cour après avoir publié "Il était une fois un joyeux bourreau, la justice singapourienne sur le banc des accusés", s'est également félicité de l'annonce du gouvernement.
Il a néanmoins regretté que l'abolition "pure et simple" de la peine de mort, pour laquelle il milite, n'était pas d'actualité.
DES CHIFFRES "SOUS-ÉVALUÉS"
Entre 2000 et 2005, 110 personnes ont été exécutés par pendaison – une pratique héritée de la colonisation britannique – pour des crimes liés au trafic de drogue, et 28 pour meurtre, selon les chiffres officiels.
Entre 2005 et 2010, le rythme des exécutions s'est ralenti, mais au moins 38 personnes ont été pendues.
Selon Amnesty International, pour qui les chiffres sont sous-évalués, un tiers concernait des étrangers, principalement des ressortissants des pays voisins (Malaisie, Indonésie, Thaïlande, Philippines) et quelques Occidentaux.
"Plus des deux tiers des pays ont aboli la peine de mort dans leur législation ou dans la pratique, rappelle Siew Kum Hong, vice-président de Maruah, une association locale de défense des droits de l'homme.
Singapour se classe au premier rang mondial des exécutions rapportées au nombre d'habitants. Le combat continue."
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