un enfant du Sud devenu New-yorkais, portrait.
Un enfant du Sud devenu New-yorkais,
Portrait.
À Paul Weidner,
L’homme de théâtre et l’homme de cœur…
Ou vice versa.
Mardi 13 septembre 1955,
Une brume matinale enveloppe les quais de « Midtown » longeant l’Hudson.
Des vendeurs de journaux, casquette à carreaux, sac de cuir en bandoulière, et l’écharpe protégeant le cou de la morsure de la lanière, guettent les voyageurs qui débarquent dans cette matinée cotonneuse de septembre 55.
Ces jeunes « crieurs » annoncent la « Une » du New York Times :
L’URSS reconnaît l’Allemagne de l’Ouest et dans le même temps annonce l’imminence de la signature d’un traité d’amitié, autorisant le stationnement massif de troupes Soviétiques en RDA, aux portes du « monde libre ».
Contre le fort courant de l’Hudson, les remorqueurs manœuvrent avec prudence pour guider la « Old Lady » qui accoste délicatement au port, au pied des angles vifs de béton et de verre des tours de Manhattan.
Le Queen Mary étire ses 310 mètres d’acier le long de « Pier 83 ».
Le paquebot Britannique transatlantique, de la prestigieuse compagnie Cunard, mettra au repos ses puissants moteurs une dizaine de jours avant d’entamer une nouvelle traversée vers le vieux continent.
Jeudi 22 septembre 1955,
Le numéro 934 de la 5ème Avenue, situé entre les 74 et 75ème rue, tout près du Metropolitan Museum, est une adresse bien connue des ressortissants Français:
Cet hôtel particulier de 5 étages abrite le Consulat de France.
Demeure palatiale inspirée des Arts décoratifs parisiens du début du XXème siècle, les salons offrent aux visiteurs les boiseries et parquets d’époque.
De lourdes tentures en soie damassée et des tapisseries encadrent les majestueuses « French Windows » s’ouvrant sur Central Park déjà aux couleurs de l’été indien.
En cette soirée du début d’automne, Antoine de La Garde, Consul de France, accueille un parterre d’étudiants Américains :
Le discours chaleureux, emprunt de paternalisme, souhaite à ces jeunes gens, endimanchés pour l’occasion, un excellent séjour en France.
Tous titulaires de la très convoitée « Fullbright scholarship », ils vont durant une année bénéficier d’une prise en charge leur permettant de passer l’année universitaire à Paris, ou ailleurs dans la vieille France !
Un bon parcours universitaire et des lettres de recommandation sont nécessaires pour pouvoir candidater à cette expérience française.
C’est le Sénateur Fullbright, qui après la guerre, estimant les étudiants Américains trop isolés du reste du monde, décida la création de ses bourses d’échange qu’il souhaita bilatérale, les universités Américaine accueillant dans le même temps le gratin des étudiants Français.
Sous le grand lustre suspendu au plafond à caisson Renaissance du vaste salon rose, les heureux élus se font remettre leurs tickets d’embarquement pour la France.
Ce soir ils dormiront en cabine de 3éme classe à bord du Queen Mary.
L’appareillage est prévu pour le lendemain vendredi 23 septembre.
À la vitesse record de 33 nœuds (60 Km/h), détenteur du « Ruban Bleu », le paquebot le plus rapide de la planète, a bouclé la traversée Atlantique d’Est en Ouest en moins de 4 jours :
3 jours, 23 heures et 57 minutes.
En vitesse de croisière, il va rallier Cherbourg en 7 jours et 7 nuits.
Un équipage de plus de 1100 personnes sera au service des clients occupant 771 cabines 1ére classe, 707 « classe touriste » et 577 cabines de 3éme classe.
C’est une petite ville flottante de plus de trois mille âmes qui ce matin quitte le port de New York à destination du Cotentin en France.
Ce même jour, le Président Eisenhower est victime d’une crise cardiaque, le malaise de l’homme d’État précipitera sous les feux de la rampe un jeune Vice-président encore peu connu du monde occidental :
Richard Nixon.
Pour un grand nombre d’étudiants à bord du Queen Mary, c’est bien évidemment la toute première fois qu’ils quittent l’Amérique pour une Europe désirable et attendue passionnante.
La plupart d’entre eux d’ailleurs, venus de provinces lointaines pour certains, ont également découvert New York seulement la veille.
Le navire est gigantesque, bien équipé, salles de sport, sauna, piscine, aire de tir à la carabine.
En fait, de nombreuses prestations destinées uniquement à la classe aisée.
En classe "populaire" on brise la monotonie quotidienne de l’océan en se réfugiant dans la lecture.
On s’échange « la communauté de l’anneau » de Tolkien, « lolita » de Nabokov écrit en langue anglaise,
« le square » de Marguerite Duras, « Le voyeur », second roman d’Alain Robbe Grillet.
La journée est rythmée par la cloche annonçant les repas. La nourriture est médiocre, le staff est Anglais, ce n’est pas vraiment « la tasse de thé » de ces jeunes Américains qui ont déjà en tête l’esprit de la France.
Au matin du septième jour la côte Française est en vue.
Sans doute tiré de la couchette par l’impatience, un groupe d’étudiants monte sur le pont promenade, et appuyés au bastingage, ils aperçoivent dans l’aube naissante les lumières dansantes des bateaux de pêche côtiers qui croisent en baie du Mont St Michel.
Les pêcheurs venus de Bretagne et du Cotentin semblent escorter le prestigieux paquebot.
Les étudiants curieux de cette approche distinguent enfin la côte Normande.
Parmi eux, un jeune homme élégant, blond, les yeux clairs et les traits fins, observe la rade artificielle la plus grande du monde.
Il vient d’avoir 21 ans et a quitté la Caroline du Sud et Charleston, sa ville natale il y a peu.
La bourse « Fullbright » lui a accordé une année à l’université de Besançon.
Il a examiné la carte pour situer la ville Franc-Comtoise, car ce nom lui était totalement inconnu avant d’ouvrir l’enveloppe lui précisant son affectation !
Fils d’un père enseignant la littérature Anglaise et d’une maman fière (...et inquiète ?) de voir son garçon partir pour la France, le jeune Paul Weidner sait que sa vie future sera ponctuée par le théâtre et la culture Française, qu’il soupçonne déjà d’être la compagne permanente de son avenir.
Le père de Paul, durant la première Guerre Mondiale, servira dans un corps d’ingénierie de l’armée US, à l’écart du front, en poste dans le nord de la France, probablement la Somme.
L’occasion lui est donné au cours de ses permissions de visiter Paris à plusieurs reprises.
Un Paris qui continue de faire la fête, ignorant le drame et l’horreur des tranchées de la grande Guerre !
De ce « curieux » pays, le père Weidner ramènera des souvenirs et répondra généreusement aux questions maintes fois exprimées par Paul enfant.
Le père saura transmettre à son fils l’intérêt pour Paris et la France, lui contera le pays de Molière et le château de Versailles.
À Charleston, les plages de l’Atlantique à cette époque ne sont pas encore une destination de loisirs.
La famille Weidner à mieux à faire pour occuper son temps libre :
Le directeur du théâtre amateur de la ville est un ami des Weidner, et chaque année, pas moins de six pièces sont montées et présentées à un public averti.
Pour le bonheur du petit Paul, quand on ne lui confie pas un rôle, le gamin officie en régie.
Dès coulisses, derrière le rideau rouge, il observe les acteurs, la scène le fascine !
Le jour s’est levé sur le port de Cherbourg, le vendredi 30 septembre 1955 au matin, le Queen Mary libère les voyageurs d’une semaine de mer.
Paul Weidner, en compagnie d’autres étudiants grimpent dans le « boat train », traction vapeur, reliant Paris à la Gare St Lazare en six heures quand tout va bien.
Derrière la vitre poussiéreuse du compartiment, Paul croquera chaque image que lui donne la ligne de chemin de fer traversant les villages :
Façades de pierres grises des maisons Normandes, clocher des églises, pâtures vertes bordées de pommiers chargés de fruits en cette année 55 qui deviendra aussi un grand millésime à Bordeaux, associant qualité et abondance.
Paul remarque les détails lui confirmant qu’il vient de mettre les pieds sur une terre d’expression Latine, un pays qui ne parle pas l’Anglais !
Déjà il est pressé de s’exercer à la langue de Racine et Corneille.
Sous la marquise noircie de fumée de la gare St Lazare, les jeunes Américains abandonnent le quai d’arrivée dans un nuage de vapeur craché par la locomotive.
C’est un tableau de Monet qu’ils traversent.
La « salle des pas perdus » les conduit aux escaliers de la rue de Rome.
Les kiosques à journaux affichent le portrait de James Dean, l’acteur fétiche vient de perdre la vie au volant de sa Porsche 550 spyder, sur une route californienne.
Le bus qui maintenant les achemine à la cité universitaire du quartier Montparnasse, traverse Paris à la manière d’un guide touristique que l’on feuillette hâtivement :
L’opéra Garnier, le Louvre, la Seine, au loin Notre Dame, St Germain…
Paul découvre, stupéfait, la réalité des images qu’il avait en tête !
D’un seul coup et brutalement, tout Paris lui tombe dessus ! Dès le premier soir le charme opère sur le jeune étudiant.
Après une semaine d’adaptation dans la capitale, ils seront quatre étudiants à se rendre à Besançon, où durant l’année universitaire, Paul apprendra la rigueur du climat hivernal de la ville du Doubs.
Paul fera connaissance d’un étudiant possédant une 2CV Citroën qui lui facilitera la découverte de la région.
Contrairement à leurs collègues stagiaires de la Sorbonne à Paris, les obligations de l’université de Besançon sont souples au regard des détenteurs de la bourse Fullbright.
Ici, on leur laisse une certaine liberté qu’ils ne se privent pas d’user.
Ils en profiteront pour, en Citroën ou en stop, effectuer quelques escapades en Suisse, en Autriche, dans le nord de l’Italie et bien sûr Paris !
L’Américain de Charleston maitrise de mieux en mieux la langue Française, ses progrès sont rapides, il manie l’argot parisien !
Pendant l’été 1956, Mr et Mme Weidner rejoindront leur fils sur le continent Européen, ensemble ils visiteront l’Angleterre.
Les nouvelles du pays ne sont pas très rassurantes, les parents Weidner sont préoccupés par la tournure des événements :
à peine sorti du conflit Coréen, une nouvelle tension s’installe au Viêt-Nam, les Français viennent d’abandonner la région, les Américains s’apprêtent à les remplacer.
Dans les États du Sud, c’est un autre combat que mènent les noirs contre la ségrégation ;
En février l’université d’Alabama est contrainte d’accepter la première étudiante de couleur (elle ne pourra pas suivre les cours !), quelques jours plus tard, à Montgomery 25 pasteurs sont accusés d’organiser la grève des bus ségrégationnistes :
à leur tête un certain Martin Luther King !
Pendant ce temps, si le Maroc et la Tunisie ont obtenu leur indépendance, la France s’enfonce dans la guerre d’Algérie qui tait encore son nom !
Paul reviendra ensuite régulièrement en France et ira aussi approfondir l’Italie et sa très riche culture.
Après deux années de service militaire obligatoire, Paul s’investira dans le théâtre, poursuivant ses études classiques et l’apprentissage de la mise en scène.
Dès l’année 1963 il rejoindra le théâtre de Hartford dans le Connecticut et participera en tant qu’acteur à de nombreuses pièces classiques (« le malade imaginaire », « les fourberies de Scapin ») et également à la programmation d’œuvres contemporaines («en attendant Godot » de Beckett, « six personnages en quête d’auteur » de Pirandello).
À partir de 1968 il devient directeur du théâtre de Hartford qui « exporte » ses programmations à Broadway et aussi sur des scènes plus confidentielles de petits théâtres « off Broadway ».
Le théâtre de Hartford assoit sa réputation sur la côte Est, idéalement situé ente New York et Boston, cette scène s’inscrit avec succès dans la demande artistique et culturelle d’une clientèle attentive à la production théâtrale.
Paul quitte la direction d’Hartford Stage en 1980.
Cette année là sera l’occasion de changer d’air et de rejoindre à Philadelphie la réunion annuelle du « Peace Corps », agence non gouvernementale américaine dont la mission est de favoriser l’amitié et la paix dans le monde, vaste programme !!
L’ensemble des volontaires pour l’Afrique prendra un vol pour Abidjan.
À bord, Laura Kayser, jeune Américaine, infirmière de formation en complément de son parcours universitaire.
Elle se verra confier en partenariat avec Paul, une mission éducative à Daloa, ville située dans la « boucle du cacao » en Côte d’Ivoire.
L’année suivante, le « Peace Corps » les mutera au Zaïre, dans la région de Bukavu au bord du lac Kivu, aujourd’hui République Démocratique du Congo.
Paul et Laura apprendront à se connaitre et animeront une classe d’élèves s’exprimant en Swahili.
Laura fait ses premières armes dans les missions humanitaires, trente années plus tard, elle sera nommée Vice-présidente d’une importante ONG Américaine :
FHI (Family Health International).
Durant ces années, Paul rejoint ponctuellement Laura pour donner le coup de main dans une Afrique qui en a tant besoin.
Laura se marie à John Battle, de nationalité Canadienne, ensemble ils auront trois garçons, Thomas, Calvin et Brandan.
Avec une maman en perpétuel mouvement, la nécessité d’avoir un pied à terre stable se fait sentir, ne serait ce que pour scolariser les enfants.
Paul qui maintenant fait partie de la famille Kaiser/Battle et qui connaît bien New York, s’associera en 1988 avec le jeune couple pour l’acquisition d’une grande et belle maison de maître dans le quartier noir de Prospect Park à Brooklyn.
De sa période universitaire à « Columbia University », Laura a gardé contact avec plusieurs relations dont Susan Livingston originaire de Boston.
Les deux jeunes femmes qui choisiront des voies différentes, l’une dans l’humanitaire et l’autre dans la haute finance, resteront amies.
Sur les pistes enneigées de Val Cenis à Lanslebourg, à la fin des années 70, Susan rencontre Claude, un Breton de Saint Guen, mon village natal du centre Bretagne.
Nous passerons plusieurs étés festifs ensemble.
C’est naturellement que Susan et Claude inviteront Laura, John et Paul à découvrir la Bretagne.
Les Américains se passionnent pour notre région à un moment où le dollar est très fort et l’immobilier particulièrement accessible.
À cette époque Claude et Susan possèdent une maison de vacances en campagne de Ploeuc sur Lié.
Paul poussera la porte du Ranquet à Pommeret un soir d’automne en 90 ou 91… Je ne m’en souviens plus très bien.
Nous aurons un long diner à la maison, évoquant les conditions d’acquisition d’une maison en Bretagne, parlant de la culture française et débattant de l’imminence de l’intervention des forces Onusiennes dans le conflit de ce qui allait devenir l’ex-Yougoslavie.
L’homme de théâtre parle un Français étonnant, manie l’humour, aime « croiser le fer » dans la discussion et intervient avec pertinence.
Nous ramènerons Paul à Ploeuc, en passant de nuit, dans Moncontour « Intramuros », pour une courte visite dans cette « petite cité de caractère » qui allait quelques années plus tard obtenir le label « plus beau village de France ».
Nous ne le savions pas encore, ce soir là, une longue amitié allait débuter entre nos deux familles.
Quelques semaines plus tard, les Américains achèteront l’ancien haras de Moncontour… La Bretagne et New-York se rapproche.
Paul, Laura et John verront grandir nos enfants et nous les leurs.
Le Ranquet à Pommeret et le 20 Midwood street à Brooklyn pactisera alors, pour une « Joint venture » qui dure toujours.
Les années ont passé, la famille Battle a migré vers la Caroline du Nord et Paul s’est rapproché un peu plus de cœur trépidant de New York en retrouvant the Village qu’il habita dans les années 60.
Ici, Paul se sent bien, il aime la ville et savoure sa turbulence.
Il puise son énergie dans ce Manhattan sans cesse en mouvement ! Paul est un Newyorker.
Paul a maintenant 80 ans.
L’homme de théâtre se couche tard, rarement avant deux heures.
Il épluche le Newyorker, consulte en ligne le New York times, va à l’opéra et au théâtre.
Il ne néglige pas non plus le cinéma mais regarde rarement la télé.
Chaque rentrée scolaire le voit resurgir à Brooklyn où il accompagne bénévolement des élèves dans un programme de découverte du très riche Brooklyn Museum.
Encarté au Parti Démocrate, il milite à chaque enjeu électoral et participe activement au porte à porte pour convaincre les électeurs de voter Démocrate.
Tout en restant un fidèle supporter du Président Obama il reconnait les faiblesses de son administration et regrette les insuffisances du programme social.
Paul aime à régler ses comptes avec l’obscurantisme religieux de tout bord et se remémore les mensonges des curés de son enfance en Caroline du Sud, là où il grandit dans une famille aimante mais dans un État raciste, rétrograde et archaïque…
La grande ville de New York est peuplé de célibataires, Paul en fait partie et a ses habitudes.
Vers midi il déjeune frugalement de fruits frais et de café, pour diner il v a au resto ou se rapproche du "Chinois" et de ses excellents plats à emporter.
Le soir, Paul prépare des tonic-vodka ou des bloody mary et lorsque le temps le permet nous allons tous ensemble siroter l’apéro sur la terrasse du toit de l’immeuble :
En face l’Empire state building et des immeubles art-déco qui s’embrasent au soleil couchant.
L’enfant du Sud n’a pas oublié sa province, ni les tombes qui reposent en regardant les marais baignant Charleston, mais ses pensées sont ailleurs…
Le temps file vite dit-il :
« je me replonge dans l’Antiquité, je relis l’Histoire Classique et la naissance de Rome…En septembre je vais faire un tour en Italie, …au retour je fais un arrêt en Bretagne, au Ranquet…On ira ensemble manger un moules frites à Dahouët…ça vous dit ?
Paul est un New-yorkais, un vrai !