Pérou 3, Rencontres à Trujillo sur fond de ruines...
Pérou 3, Rencontres à Trujillo sur fond de ruines…
À Boquete(*), les Indiens du Panama évoquent l’éternel printemps de leur vallée luxuriante ; Ici à Trujillo, les Péruviens font de même en qualifiant la cité historique de la côte nord de « ville du printemps éternel » !
Trujillo avec son centre historique intact, est une ville souriante, distinguée, la classe en somme !
Des fenêtres de fer forgé à l’allure princière, de vieux balcons de bois ouvragés, des façades aux couleurs chaudes et vives, les fameuses superbes casonas (hôtels particuliers) et les inévitables églises baroques, assurent à la troisième ville du Pérou un chic authentique et une élégance particulière.
À proximité, la plage de Huanchaco pour le farniente et, pour les amateurs d’histoire Précolombienne, l’exceptionnel site de Chan Chan...
À moins d’un mois des élections (députés et Présidence), Trujillo n’échappe ni aux meetings, ni aux cortèges partisans.
En centre-ville les défilés bruyants (mais peu fournis) ne semblent guère impressionner une population locale plus encline à gagner sa croûte qu’à écouter les énièmes promesses !
Le poète Argentin Jorge Luis Borges a pondu une formule résumant l’histoire de l’Amérique du sud :
« Les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens descendent des Incas et les Argentins descendent des…bateaux ! »
On dit les Péruviens agacés par ce raccourci les faisant héritiers des Incas…
Trujillo préfère se souvenir de la civilisation Moche.
À y regarder de plus près, des patronymes comme Guzman, Fujimori, Kuczinzki, Yehude Simon…, tous candidats aux prochaines élections à la Présidence du pays le 10 avril, laissent supposer que le Pérou fut aussi une terre d’immigration…
Mais pas un Eldorado pour tout le monde !
Le Pérou compte 15 % de « blancs » descendant directement de riches familles Européennes, propriétaires d’immenses haciendas, disposant des leviers politiques et économiques, ignorants trop souvent les 10 millions de Péruviens survivants sous le seuil de pauvreté.
60% de ces 10 millions sont en situation d’extrême pauvreté, essentiellement dans les régions Andine…
« Una propina por favor !»…tout le monde a entendu cette demande en se baladant dans les villages de montagne.
Après vingt années de violences politiques (Sentier lumineux et junte militaire) et 70 000 morts plus tard, le Pérou renoue avec le plus fort taux de croissance d’Amérique Latine.
L’émergence d’une classe moyenne est bien visible.
C’est l’activité minière qui engrange le plus de dividendes.
Premier producteur mondial d’argent, second producteur mondial de cuivre et de zinc et sixième producteur mondial d’or, les autorités politiques péruviennes ont développé depuis le début des années 90 un cadre juridique très favorable afin d’attirer les investisseurs étrangers .
Ce choix de développement s’est réalisé au prix de la mise en concession de millions d’hectares au bénéfice d’entreprises multinationales et au mépris du droit à la santé et à un environnement sain pour les populations.
Mais bien entendu il y a ceux (nombreux) qui restent sur le bord du chemin.
Les années noires du conflit armé continuent de marquer durablement la société Péruvienne.
Le patron du sentier lumineux est aujourd’hui sous les verrous et il en va de même pour l’ex-Président Alberto Fujimori, condamné à 25 ans de tôle pour corruption et…crimes contre l’humanité : assassinats, stérilisations forcées…excusez du peu !
Baptisé « plan de santé publique » en 1995, ce programme de stérilisation dirigé contre des Amérindiennes (essentiellement des Quechuas), a était financé principalement par l'USAID (36 millions de dollars) et aussi par le Fonds de population des Nations Unies (UNFPA)…
En février 1996, l'OMS elle-même félicite alors Fujimori pour son plan de contrôle démographique !
Si la fille ne peut nullement être tenue responsable des agissements du père, il n’en demeure pas moins surprenant que Keiko Fujimori affiche le meilleur score d’intentions de vote pour le premier tour des élections prochaines.
D’ailleurs, un tiers des sondés assurent partager les idées du populiste facho ex-président tôlard, et Keiko Fujimori, classée à l’extrême droite sur l’échiquier politique jouit semble-t-il d’une forte popularité !
Les deux candidats les plus à même (droite et centre droit) de contrarier une probable victoire de la progéniture d’ « El Chino » viennent d’être invalidés par le Tribunal Electoral pour « failles administratives et corruptions ».
Il y a de quoi se poser des questions sur le fonctionnement de la société Péruvienne !…
Qu’on ne s’y méprenne pas, derrière le papier glacé des magazines des tours opérateurs affichant de splendides montagnes blanches immaculées et des lagunes bleu-turquoise, le fumier d’une dérive autoritaire dictatoriale n’est jamais loin !
Le bruit des bottes résonne dans la tête des petits cireurs de chaussures alignés sous les arcades des nombreuses Plazas de las Armas !
Dans ces conditions, une grande majorité de la population qui chaque jour lutte pour vivre, a totalement perdu confiance dans un système politique pourri et des institutions gangrénées par une redoutable corruption.
Le très bon taux habituel de participation aux élections (75 à 80%), est à mettre en relation avec le vote obligatoire assorti d’une pénalité en cas de « no show ».
Nous avons rencontré Maria dans un petit bar restaurant du centre historique de Trujillo. C’est une jolie jeune fille de vingt ans, elle bosse en cuisine 8 heures par jour, sept jour sur sept.
Maria ne se plaint pas de son sort, elle dit même être privilégiée par rapport à d’autres qui doivent aligner 12 à 13 heures quotidiennement.
Son patron est « cool » dit-elle, elle peut se débrouiller pour avoir quelques journées de liberté dans le mois.
Maria a une sœur qui vit au Danemark, elle n’a plus de nouvelle de son ainée…Et puis là-bas «… il neige et il fait froid.. ».
En terrasse, notre conversation s’anime, nous creusons un peu avec cette jeune adulte symbole d’une génération désabusée…
Ira –t- elle voter ? Maria n’en a rien à battre !
« Cual es tu sueño Maria ? »
« Salir…claro que si ! Salir ! »
« A donde ? »
« No se…pero salir ! »
Nous percevons dans ces réponses bien plus qu’une envie de « partir »…Un manque d’espoir, un certain fatalisme, le doute dans un avenir incertain…
Maria nous aura touchés au cœur, par sa simplicité, sa sincérité, en nous remettant les pieds sur terre, nous touristes insouciants, béats d’admiration devant d’incroyables paysages de cartes postales…
De temps à autres, il est nécessaire de soulever le tapis et jeter un coup d’œil à la poussière discrètement dissimulée.
Plus carré, plus rompu à une analyse sans concession du pays qui l’accueille depuis 4 ans, nous rencontrons Maxime Portal, directeur de l’Alliance Française de Trujillo :
L’occasion est belle pour en savoir un peu plus sur ce Pérou qui chaque année draine des millions de touristes.
Le fonctionnaire ne mâche pas ses mots ! Le développement économique est certain dit-il, mais l’indice de développement humain, métaphore polie pour évoquer la misère, ne décolle pas !
Portal évoquera la lassitude qu’il ressent dans ce beau pays, le fort individualisme des Péruviens, les richesses sans cesse cumulées par les minorités « Blanches » et le racisme qu’on n’avoue pas mais qui est bien présent dans les têtes…
À ce propos, nous apprendrons par la suite, que dans les familles métisses, la naissance d’un enfant à la peau claire est considérée comme une véritable « chance » !
Ce soir-là, à l’Alliance Française, une expo photos est consacrée à la Bretagne et plus particulièrement à Rennes : Rocio Miro Candela a étudié quelques années à l’université de Rennes et enseigne actuellement dans une école Montessori à Trujillo.
De son expérience Bretonne, la jeune femme Espagnole, a ramené quelques clichés insolites… soirée agréable, petits fours et vin Péruvien en prime !
Trujillo est une étape appréciée des voyageurs qui découvrent le nord du Pérou.
La richesse de son architecture coloniale, son côté hispanique, ses restaurants agréables et bien entendu le voisinage immédiat de Chan Chan garantissent un séjour alliant culture, soleil ardent, désert, plages et bières fraiches.
La « ville » de Chan Chan s’étire au bord de l’océan. C’est une impressionnante cité totalement construite en adobe, mélange d’argile, de paille hachée et de graviers.
Chan Chan fut la capitale du royaume Chimu. La ville se développa durant trois siècles pour atteindre une emprise de 25km² jusqu’à ce que les puissants Incas, (encore eux !) pas contents du tout de voir un royaume évolué leur faire de l’ombre, asséchèrent les canaux d’irrigation de la cité, entrainant la perte des Chimu.
Pas sympas les Incas !
Les murs d’enceinte, en partie endommagés, constituent un étonnant témoignage de la puissance de ce royaume.
Les admirables ruines de Chan Chan composent l’un des plus vastes complexes archéologiques de l’Amérique…Il n’y a pas que le Machu Picchu au Pérou !
Pour la visite caliente, en plein désert, gourde fraiche et casquettes conseillées !
Ensuite, un saut à Huanchaco pour la détente, s’installer à l’ombre et savourer une délicate cuisine de port de pêche.
Ce soir nous quitterons la côte pour profiter de l’air tempéré des montagnes de la Cordillera Blanca !
Un long trajet en bus de nuit nous attend.
(*) Voir le Ranquet en vadrouille, saison 2, Panama 3, Boquete….
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- Pérou 1, Le désert...Un inquiétant trop plein!
- Pérou 2, Le Seigneur de Sipan et les hautes terres de Cajamarca.