Rwanda 1, le jour où j'ai donné ma chemise...
Extrait du témoignage d'Esther Mujawayo:
( tiré du livre "Survivantes" publié aux éditions "l'Aube", mars 2004 )
« Au Rwanda, on nous dit aujourd’hui : “On en a assez parlé.” »
morceau choisi
« J'ai douté pendant le génocide. J'ai douté après le génocide. Mais surtout, j'ai douté après avoir perdu mon père.
Parce qu'au moins, dans l'adolescence, quand je doutais de Dieu, il me remettait vite dans le droit chemin. Il me rapportait tous ses exemples pour me démontrer qu'on se sort toujours des difficultés.
Au Rwanda, entrer en secondaire à la sortie de l'école primaire est un grand événement car c'est la seule chance de faire des études, et la possibilité de ramener des sous à la maison.
(...) A la fin de la sixième année de primaire, on a un examen national et pour le passer, on doit remplir des fiches signalétiques. Je ne me rappelle même plus comment était cette fiche, mais c'était assez traumatisant parce que tu devais y inscrire si tu étais Tutsi ou Hutu.
Tu devais marquer ton ethnie, et quand tu marquais Tutsi, c'était beaucoup de chance de ne pas avoir de place ; or cette fiche te suivait tout le long de ta scolarité..."
Le jour où j'ai donné ma chemise...
Ruhengeri, Nord Rwanda.
Il parle un bon Français… Comme beaucoup de Rwandais « éduqués » dit-il.
Il est responsable de l’Office de Tourisme, une désignation trop pompeuse pour ce cagibi vétuste où il nous fait asseoir devant une affiche de gorilles décrépite.
Scotché au mur, un dépliant touristique du Rwanda qui pourrait nous être utile, malheureusement, c'est peiné qu’il regrette de ne pas pouvoir nous en fournir, le stock se trouve à Kigali, la capitale !
A Ruhengeri, quatrième ville du pays, au pied du Parc National des volcans, les touristes traversent le centre souvent s’en s’arrêter, pressés par l’appel de la forêt et le « Gorillas Track ».
Le fonctionnaire nous écoute, comprend l’objet de notre visite, saisit notre demande, s’étonne que nous n’allons pas visiter les gorilles du Parc National et nous dit :
« OK, je vais téléphoner ! »
N’utilisant pas l’Anglais mais s’exprimant en Kinyarwanda, souriant, il nous assure :
«…oui, elle est intéressée, elle va venir vous chercher et vous irez ensemble au centre. »
Peu après, Séraphine, le visage lumineux, a poussé la porte. C’est une jolie jeune femme de trente-trois ans qui dissimule ses cheveux sous un turban noir.
Séraphine manie bien le Français.
Dans la cour le taxi nous attend, nous faisons un crochet par l’hôtel, le temps de récupérer mon stock de chemises et polos soigneusement ficelé au fond du sac depuis le départ de Bretagne.
Nous empruntons les rues dégradées du nord de la ville, les quartiers traversés sont plutôt misérables, mais les échoppes étalent fruits et légumes, on y vend aussi des sodas, de la bière et des cartes de téléphone.
Longeant un haut mur de briques, le taxi va s‘arrêter devant un portail plein, ménageant une porte d’accès s’ouvrant sur une cour en terre battue fraîchement balayée.
Elles sont une dizaine à nous attendre, Séraphine les a prévenus de notre venue.
L’accueil est extrêmement chaleureux, exagéré sans doute, très démonstratif : embrassades, accolades et longues poignées de main.
Nous allons d’abord voir l’atelier de confection de sacs à main en tissus chamarrés, des t-shirts en coton sont également exposés.
Sur un présentoir de belles vanneries colorées disputent la place à d’autres souvenirs destinés aux touristes.
L’ensemble est fait main.
C’est un travail particulièrement soigné!
Dans la salle principale, les machines à coudre Singer se sont serrées contre le mur libérant ainsi une piste de danse.
Le temps de notre visite dans l’atelier de confection, les filles ont disparu pour quelques instants.
Plus tard elles réapparaîtront toutes drapées de bleu.
Rythmées au son d'un tambour Africain, elles nous gratifient de plusieurs danses rwandaises s’accompagnant de chants traditionnels.
Quelques années auparavant, Fidèle Duzingizimana, photographe renommé (Expo internationale Rwanda Project) ayant grandi à l’orphelinat « Imbabazi », a décidé d’ouvrir cette petite structure d’accueil communautaire pour jeunes filles orphelines ou en danger.
«Ubushobozi project » développe l’apprentissage de la couture, la pratique basique d’internet, la notion du commerce. Séraphine leur enseigne l’Anglais.
Les filles ont grandi ensemble, certaines ont vingt ans passés maintenant, elles sont parfois très jeunes mamans.
Elles évoluent dans un cadre protégé nécessaire à la reconquête de leur équilibre.
Parmi ces esquintées trop tôt privées d’enfance, quelques-unes semblent trop joyeuses pour ne pas cacher un handicap certain.
C’est donc aux bons soins de Séraphine qu’une vingtaine de mes chemises SNCF * trouveront une nouvelle destination!
Confectionnées par « Armor lux », la plupart en coton équitable de belle qualité en provenance d’Afrique, ces chemises retrouvent donc leur origine.
Juste retour des choses en somme.
Lorsque Séraphine a traduit aux filles les origines des chemises « made in France », et fait de coton Africain, un tonnerre d’applaudissement a conclu la séance.
Et bien sûr embrassades nouvelles, nouvelle tournée de poignée de mains, nouveaux remerciements…
Séraphine a salué notre visite. Ce soir mon sac est plus léger !
*ce sont des chemises et polos à l’état neuf, sous blister que nous avons laissés au centre.
Séraphine en assure la distribution aux filles qui les vendront.
« L’office de tourisme » nous a facilité le contact avec le centre, nous n’avions pas l’adresse, seulement le téléphone.
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